Doç. Dr. Ertuðrul Efeoðlu
Yýldýz Teknik Üniversitesi,
Mütercim-Tercümanlýk ABD (Fr.)
Abstract
In this study titled “Set phrases in the
French translations of two novels of Orhan Kemal”, are
examined the phrases, the turns and the clean commonplaces
has Turkish language. Becoming according to some
grammarians, the statements of this kind are considered
untranslatable. The communication ends in a proposal on a
compared grammar dealing of the segments and the
articulations of those in Turkish and French.
Présentation :
On conçoit le plus souvent que les expressions figées
procurent une commodité de la traduction. C’est une
assertion aussi vraie que fausse.
Cette assertion peut être vraie pour les
énoncés non littéraires. Elle est presque fausse pour les
énoncés littéraires. Mais disons d’emblée que les
traductions en question nous ont démenti.
La distinction ainsi faite ne servirait qu'à en faire
d’autres. Car chacune de ces deux catégories des énoncés
contient des sous-catégories. Les registres (les « niveaux
de langues » dans la terminologie des sociolinguistes), eux
aussi, en ont d’autres.
Ainsi faut-il distinguer dans la catégorie des énoncés
littéraires un certain nombre de registres. Chacun de
ceux-ci a ses modalités. La diversité en est une richesse
dans la langue « spéciale » d’un romancier.
Les romans d'Orhan Kemal (écrivain turc,
1914-1970) se distinguent, non seulement par leur réalisme
social au plan idéologique, mais aussi par leur mode
d'expression au plan linguistique. Dans ses romans, la
langue parlée prend part, de façon fonctionnelle, dans la
traduction de la réalité sociale.
Orhan Kemal était un romancier qui
faisait usage des expressions figées du turc parlé et
populaire dans son œuvre. Cet emploi de la langue assure une
aisance dans la lecture. Mais toujours à cause de ces
expressions figées, susceptibles de tomber, un certain temps
après, en désuétude, cette sorte d’emploi court également le
risque de perdre sa valeur communicative. Les expressions de
la langue quotidienne, usage en une époque donnée de la vie
sociale, peuvent sortir, un certain temps après, de l’usage.
Car, quoique la réalité sociale soit
concrète, elle n’est jamais une entité homogène et immuable.
La langue, servant à la traduire, est en fonction de
celle-là. Donc la langue n’est pas immuable non plus.
Notre communication a pour objectif de
relever, au premier abord, les principales expressions
figées dans les deux romans d’Orhan Kemal, L’Inspecteur
des Inspecteur (Müfettiþler Müfettiþi, éd.
princeps date de 1966) et sa suite L’Escroc (Üçkaðýtçý,
éd. princeps date de 1969), traduits en français par
Jean-Louis Mattei, ensuite d’en classifier les plus
pertinentes selon les approches linguistique et
grammaticale.
Orhan Kemal et son turc :
Orhan Kemal se fait connaître par la
fécondité littéraire. Vingt-cinq romans, treize recueils de
nouvelle, cinq pièces de théâtre, un recueil des mémoires
autobiographiques, un recueil des reportages, de nombreux
scénarios pour le cinéma turc représentent l’univers
romanesque assez riche de l’auteur.
L’univers est riche, malgré l’homogénéité
des personnages. La plus grande partie de ses personnages
sont empruntés à la couche médiocre de la société : ouvriers
d’usine, manœuvres, gardiens industriel, artisans, petits
commerçants, moissonneurs, chômeurs, travailleurs agricoles…
Ceux-ci sont inéduqués, sans instruction.
Leurs langues sont celle de la vie
quotidienne dans leurs milieux : Le vocabulaire est pauvre,
la syntaxe est simple et erronée à la fois, la prononciation
est incorrecte.
Orhan Kemal a voulu profiter des
dialogues pour offrir une lecture rapide et facile. Lui-même
se défend par deux motions. Dans son article paru le 1er
septembre 1953 dans le supplément de l’art du journal Dünya,
il en formule la première de la façon suivante: "Je profite
de la dialectique du dialogue" (Otyam :110).
Ainsi, il a deux profits : Rapidité dans une lecture aisée
et développement facile des événements et des idées.
Sa deuxième motion s’appuie sur le niveau
culturel de ses personnages. Selon lui la grande majorité du
peuple turc ne sait pas sa langue maternelle. Seule la
couche d’élite est imprégnée du sentiment linguistique. La
littérature ne servait qu'à elle : “(…)
le côté du roman et de la nouvelle de
notre littérature, du début jusqu’aujourd’hui, est rempli
des aventures de la minorité sachant bien parler sa langue
maternelle" (Ibid., p.112).
Orhan Kemal a été constamment critiqué
par les puristes de langue. N’oublions pas dire que le
purisme a un sens exceptionnel en Turquie. Les partisans de
la Révolution turque (1923), tous les progressistes, les
partisans la gauche, les libéraux, eux aussi, ont participé
au mouvement de la purification et de l’enrichissement du
lexique. Car, au cours de son histoire et notamment à
l’époque de l’Empire ottoman, la langue turque a emprunté
des mots aux langues diverses. Parmi elles, il faut noter
l’arabe, le persan et le français. Ce dernier, lui aussi,
garde encore sa présence par un lexique riche.
Tout au contraire de l’avis commun des
intellectuels, de ses contemporains, Orhan Kemal n’a pas
hésité d’employer les mots d’emprunt. Les mots français ne
comptent pas moins. Pour donner un exemple, relevons les
mots français dans les deux premières pages de
L'Inspecteur de l'inspecteur : [la première page]
« rölöve þapka » (chapeau à bords relevés) [le mot
« rölöve » se prononce comme celui dans le français],
« kostüm » (costume) [la même prononciation qu’en français],
« kravat » (cravate), « gri » (gris) [la même prononciation
de l’adjectif masculin dans les deux langues… Le turc n’a
pas le genre.], « avukat » (avocat) [« avukat » se prononce
‘avukat’ selon l’alphabet phonétique], lise (lycée)
[« lise » se prononce comme en français], « enstitü »
(institut) [« institut » a la même prononciation que le mot
français] ; [la deuxième page] « rölöve », « ampul »
(ampoule) [la prononciation identique], « port manto »
(portemanteau) [« portmanto » s’écrit aujourd’hui en un mot
et se prononce comme le mot français], « garson » (garçon)
[(le « garçon » du débit de vin) s’emploie en turc comme en
français par la prononciation française], « patron »
(patron) [la lettre final (n) se prononce nettement],
« ekip » (équipe) [la prononciation identique dans les deux
langues], « kontrol » (contrôle) [la prononciation
française]… Ajoutons que ces mots français s’emploient
couramment en turc aujourd’hui.
Ce petit inventaire suffirait à approuver
l’opinion des "puristes" turcs en matière de leur langue et
leurs critiques portées, depuis l’année 1953, sur la langue
d’Orhan Kemal.
Mais l’objectif de notre communication
n’est pas de relever les mots d’emprunt dans les deux romans
d’Orhan Kemal. Nous nous bornons à confronter les
expressions figées entre les romans turcs et leurs
traductions en français.
Les expressions figées :
Nous trouvons utile de déterminer ce que
nous entendons par l’ « expression figée ». Notons qu’il y a
quelques différences entre ce que nous appelons l’expression
figée et ce que les grammairiens appellent la « séquence
figée » ou l’ « expression lexicalisée ». Par exemple
Patrick Charaudeau, dans son ouvrage, intitulé Grammaire
du sens et de l’expression, distingue deux sortes de
séquences : a.) les locutions (‘jeter un coup d’œil’) ; b.)
les maximes (‘Pauvreté n’est pas vice’), proverbes et
dictons (‘Le mieux est l’ennemi du bien’, ‘Pierre qui roule
n’amasse pas mousse’). A ces deux groupes, il ajoute les cas
de « remotivation sémantique ». Ceux-ci recouvrent les
divers emplois des mots homonymes, homophones, des mots
remotivés en sens divers, des rapports métonymiques, etc.
(Cahraudeau : 76, 77). Béchard, de son côté, dénomme la
« forme figée » les présentatifs c’est … que,
c’est … qui, les expressions est-ce que,
si ce n’est que, toujours est-il que ou
les tournures il faut, comme il convient,
on ne peux mieux, etc. (Béchard : 44) et la « forme
lexicalisée figée » les syntagmes c’est, c’était,
etc. (Béchard : 98).
A ce sujet, le dernier ouvrage que nous
voulons citer s’intitule Les expressions figées en
français (noms composés et autres locutions). Cet
ouvrage relève un nombre d’expressions figées. Celles-ci
sont appelées « séquences figées » et présentées comme
suit : proverbes, formules religieuses, titres d’œuvres,
aphorismes, stéréotypes, latinismes, chansons, slogans
politiques, slogans publicitaires (Gross : 20).
Parmi les approches et les définitions
présentées ci-dessus, celle qui nous concerne plutôt, c’est
celle de Gaston Gross. Nous prenons en considération surtout
les stéréotypes et les aphorismes. Un stéréotype est une
association invariable formée des éléments fixes. La
structure d’un stéréotype se conçoit parfois comme des
tournures erronées. Le gallicisme occupe à ce propos le
premier rang. Le gallicisme est l’un des stéréotypes le plus
répandu et le plus populaire et familier. On distingue les
gallicismes de vocabulaire et les gallicismes de
constructions. Une dernière remarque sur le gallicisme : La
grande majorité des gallicismes sont intraduisibles dans
d’autres langues.
Dans ce contexte, nous tenons compte
également d’autres formules toutes faites. Notre champ
d’étude implique les formules suivantes : aphorisme, adage,
dicton, maxime, précepte, proverbe, ainsi que tous les
autres lieux communs.
Ces formules peuvent être examinées aussi
dans le cadre de l'idiotisme. Nous entendons par l'idiotisme
les expressions idiomatiques consistant en expressions
figées qui ont pris tournure au cours de l’histoire de la
langue. L’idiotisme signifie les formes ou les locutions
propres à une langue, impossibles à traduire littéralement
dans une autre langue de structure analogue. Toute langue
englobe quelque champ idiomatique propre à elle. Ainsi, il
ne serait pas faux d’imaginer la richesse en idiome des
langues.
Remarquons en passant les idiolectes.
Celle–ci recouvre la façon de s’exprimer d’un locuteur, son
lexique, sa terminologie, et sa phraséologie, consistant en
construction propre à l’individu.
Pour savoir le sens exact des expressions
figées, il faut savoir le contexte socioculturel où elles
sont employées. Car la connaissance de la morphologie peut
se rendre insuffisante à saisir le sens. Elles ont trait aux
réalités sociales et historiques. L’expression figée,
parfois basée sur un souvenir commun, facilite la
formulation du message et l’enrichit par ses images,
métaphoriques et métonymiques.
Locutions ou expressions figées
:
Les locutions consistent en des groupes
de mots (syntagmes). Elles sont des tournures à valeur
métonymique. Grâce à elles, le langage quotidien s’enrichit
et s’embellit. Les locutions sont fixées par la tradition.
Le locuteur use aisément des locutions. Pourtant peu de gens
savent l’étymologie de la grande partie des locutions. Le
côté conventionnel des locutions, enraciné dans la
tradition, n’exige aucune explication étymologique.
Des locutions dans les deux romans
d’Orhan Kemal abondent. Pour en donner une idée, nous nous
bornons à quelques exemples. Nous en présentons les
suivantes :
1.) « Býyýk altýndan güldü » (Üçkâðýtçý,
23) : Il rit sous cape (L’Escroc, 27).
Dans cette locution, « býyýk » signifie
la moustache. La traduction littérale serait « rire sous la
moustache ». Mais la locution française n’admet que
l’acception déjà établie, ci-dessus.
2.) « Ateþ olmayan yerde duman
olur mu? » (Üçkâðýtçý,
23) : « Y a-t-il de la fumée sans feu ?» (L’Escroc,
p.28).
Dans un dictionnaire des locutions, cette
locution s’écrit en forme simple comme suit : ‘ateþ olmayan
yerde duman olmaz’ (Il n’y a pas de fumée là où il n’y a pas
de feu) ou ‘ateþ olmayan yerden duman çýkmaz’ (la fumée ne
monte pas de l’endroit où il n’y a pas de feu). Cette
locution s’emploie pour faire allusion aux incidents dont on
ne sait pas grande chose. Pourtant les indices, quoique
douteux, en signalent l’existence.
Le traducteur, M. Mattei, a traduit
littéralement la locution turque. Cela nous donne
l’impression de la turquerie. Pourtant il n’est pas rare que
les mêmes locutions soient employées dans des langues
différentes.
3.) « Þeriatin kestiði parmak
acýmaz » (Üçkâðýtçý, 209) : « le doigt qu‘a coupé la
charia ne souffre pas ! » (L’Escroc, 300).
Ici, il s’agit plutôt d’un adage. Un
adage se définit comme une maxime juridique et / ou
pratique. L’adage est une formule figée tant ancienne que
populaire. L’adage ci-dessus remonte à l’époque de l’Empire
ottoman. La charia, basée sur les ordres du Coran, était le
code pénal. Depuis la proclamation de la république (1923),
les lois de caractère laïc ont supplanté la charia. Mais
l’adage ci-dessus subsiste encore, il s’emploie sans faire
allusion au code pénal coranique.
4.) « (K)orkulu rüya görmektense
uyanýk durmak daha akýl kârýydý » (Üçkaðýtçý, 7) :
« Plutôt que faire un cauchemar il était plus sage de rester
vigilant » (L’Escroc, 4).
L’expression ci-dessus, peut être
considérée comme un précepte, du fait qu’elle formule un
enseignement dans la vie pratique. Le traducteur a exprimé
en français la même idée qu'en turc. C’est une équivalence
adéquate, malgré les deux mots un peu différents dans les
deux langues. S’il fallait faire une traduction littérale,
on dirait "rêve aux scènes peureuses" pour « korkulu rüya »,
"(être) raisonnable" pour « akýl kârý (olmak) ». Mais dans
ce cas, la traduction n’assurerait pas la bonne équivalence
en français.
5.)
« Bir çuval inciri berbat etmiþti » (Müfettiþ, 79) :
« il leur avait ‘cassé la baraque’ » (L’Inspecteur,
76).
Si l’on traduit mot à mot cette phrase
turque, on dirait « Il avait gâté les figues en un sac
bourré. » Cette traduction ne signifierait pas grande chose
pour un francophone qui ne sait pas le turc. Le traducteur a
préféré reformuler sa bonne création, celle qui a, sans
doute, une signification intelligible.
Les stéréotypes ou les locutions
banales, les lieux communs :
Ici, nous voulons cesser de multiplier
les exemples de la sorte, et tenons à illustrer dans la
mesure du possible les locutions banales, les lieux communs.
Ces derniers occupent une place large dans les romans
d’Orhan Kemal. Comme nous avons indiqué ci haut, les
conversations assument la fonction la plus considérable dans
les productions littéraires du romancier.
Jean Peytard définit la conversation
comme « le langage banal par lequel nous communiquons
quotidiennement avec notre entourage, familial,
professionnel, social » (Peytard : 170). Puisque le locuteur
et l’interlocuteur sont actuels, proche l’un de l’autre, le
contact est immédiat. Ainsi, la communication s’effectue
avec le moindre effort. Pour une certaine rapidité, on
recourt aux divers moyens de communication, moins
fatigables, tels que l’omission de certains éléments (mots
ou syllabes). L’un des moyens de la communication rapide
consiste en stéréotypes.
Les stéréotypes sont des locutions sans
originalité ou ceux ayant déjà perdu leurs valeurs
expressives ou émotionnelles. Les lieux communs, eux aussi,
sont des locutions sans éclat qui se répètent fréquemment.
Les locuteurs n’apportent rien de leurs intelligences à la
construction des lieux communs. On dirait que les mêmes
propos passent de bouche en bouche. Donc, il serait juste de
nommer les conversations pleines des stéréotypes et des
lieux communs les « conversations vides ».
Voyons quelques stéréotypes ou lieux
communs à titre d’exemple dans les romans dont il s’agit :
1.) « Herkesin evi barký, herkesin
çoluðu çocuðu vardý » (Üçkâðýtçý, 409) : « Tout le
monde était marié et avait des enfants » (L’Escroc,
588).
Rappelons que le turc est une langue
riche en expressions de créer l’image de pluralité et de
fluidité. Ce cas spécial prend le nom de « redoublement ».
Dans la phrase ci-dessus, ‘ev’ (maison) est suivi de ‘bark’
(baraque), ‘çocuk’ (enfant) précédé de ‘çoluk’ sont des
redoublements. En effet, ce dernier, ‘çoluk’ tout seul, n’a
pas de sens exact, sauf dans l’expression où il figure, ce
mot signifie implicitement les membres de la famille.
2.) « Belediye melediye, saðlýk
iþleri maðlýk iþleri karýþtýrdý » (Müfettiþ, 79) :
« Il a invectivé la mairie et les services de santé » (L’Inspecteur,
76).
Cette phrase est construite comme la
première, autrement dit par des « redoublements ».
‘Belediye’ signifie « la mairie », mais ‘melediye’, tout
seul, n’a aucun sens. Il en est ainsi pour ‘maðlýk’, seul
‘saðlýk’ veut dire « la santé ».
3.) « -Vali mali takar mý böyle
adam ! » (Müfettiþ, 230) : « Est-ce qu’un homme comme
lui se soucie d’un préfet ou d’autre ? » (L’Inspecteur,
229).
On voit un autre redoublement, forgé sur
le nom de ‘vali’ (préfet) : « vali mali ». Bien évidemment,
‘mali’ tout seul n’a aucun sens.
4.) « Kâtiple, matiple uðraþacak
durumda mýydý ? » (Üçkâðýtçý, 410) : « Était-il donc
en situation de s’occuper du Greffier et de tutti quanti ? »
(L’Escroc, 590).
En voilà encore un redoublement : ‘kâtip matip’. Comme dans
les exemples ci-dessus, ‘matip’ est un mot dépourvu de sens.
5.) « kelle kulak yerinde biri » (Üçkâðýtçý,
7) : « quelqu’un de stature imposante » (L’Escrot,
4).
Comme dans le premier exemple, cet énoncé
n’est qu’une formule toute faite et invariable. Une
traduction littérale en donnerait la phrase française comme
suit : « tête, oreille (sont) à leur place ». Précisons
également que ‘kelle’ s’emploie plus spécialement pour la
tête coupée des animaux. Ce mot a un sens péjoratif ou
taquin, quand il est employé pour désigner la tête humaine.
« herif okkalýydý vesselam. Kelle, kulak,
kalýp, kýyafet » [Üçkaðýtçý, 86] : « l’homme était
imposant, important, c’était tout ! Son visage, sa carrure,
son costume… » [L’Escroc, 121].
‘Okka’ était un poids ancien, utilisé
avant l’utilisation du ‘kilogramme’. ‘Okkalý’, comme un
adjectif, signifie encore ‘imposant’, ‘important’, tout
comme le traducteur a proposé dans la traduction en
français.
6.) « (…) ama [þarapçý] herife
mangýr pasa ettiðinden kapaðýný kaldýrmamýþtý (Üçkâðýtçý,
22) : « mais il n’avait pas éventé le fait qu’il avait
refilé du fric au ‘Type’ » (L’Escroc., 26).
« mangýrlarý adama pasa ettiydim » (Üçkâðýtçý,
6) : « Mon fric je me le suis fait chiper par ce bonhomme »
(L’Escroc, 2).
Dans ces deux énoncés, ni ‘mangýr’
(« argent » dans l’argot), ni ‘pasa etmek’ (‘pasa’ est forgé
probablement sur le modèle de « passer » du français) ne
sont dans la bouche des nouvelles générations. Peu de jeunes
gens arriveraient à comprendre ces énoncés…
Dans le premier énoncé, la locution
‘kapaðýný kaldýrmak’ (« lever / ôter le couvercle de qqch »)
ne s’emploie plus.
7.) « Asayiþ berkemal mi ? » (Müfettiþ,
77) : « La paix publique est-elle bien respectée ? » (L’Inspecteur,
75).
Cette phrase à la forme interrogative se
posait autrefois par un commandant ou par le chef de police
à la sentinelle. Quoique les mots d’emprunt et archaïques,
ce stéréotype s’emploie encore. Il se pose comme question
pour savoir si tout va bien, mais comme une taquinerie.
8.) « -Ne oluyor gene ?
(…)
« - Derdin dibi !
« -Karnýna !
« -Senin karnýna ! » (Müfettiþ,
215)
« -Qu’arrive-t-il encore?
(…)
« -Poison !
« A ton ventre !
« -Au tien ! » (L’Inspecteur, 214)
Ce sont les propos d’un couple qui
dispute. Les syntagmes ‘derdin dibi’, ‘karnýna’ ne disent
plus rien à personne, même à nous-même.
9.) « [Baþýmýzdakiler] gün gelir
bir yumurtayý on kiþiye taþýtýr, gün gelir on kiþiyi bir
yumurtanýn içine sokmaya çalýþýrlar » (Üçkâðýtçý,
6) : «Un jour ils vous faisaient porter un œuf à dix
personnes et un autre ils essayaient de les y faire entrer »
(L’Escroc, 2,3).
Dans cette phrase, devenue un stéréotype
dans les deux romans, on veut faire allusion aux affaires
des supérieurs, notamment des grands bureaucrates et des
politiques ; pour les humbles citoyens ces affaires sont
toujours inintelligibles. Il faut noter que ce lieu commun
assez banal n’a plus aucune fonction communicative, car
personne n’en entendrait rien.
10.) « -Karýya kesiliyorum. Görsen
bitersin » (Müfettiþ, 256) : « Cette fille me botte
tout à fait. Un morceau de choix. » (L’Inspecteur,
254).
Un jeune homme parle à son frère d’une
femme qu’il a rencontrée et adorée. Le niveau de langue est
celui dit argot. ‘ Kesilirsin’ veut dire littéralement « tu
te coupes », ‘bitersin’ signifie « tu finis (fort
probablement) ». Le traducteur a fait le meilleur choix
d’avoir employé l’équivalent français des énoncés turcs.
Mais il vaudrait mieux dire ‘gonzesse’ pour ‘karý’.
Remarquons encore que ‘kesilmek’ s’emploi très peu
aujourd’hui, l’expression à la mode est ‘hasta olmak’ « être
malade (de qqn) ».
En guise de conclusion :
L'étude des expressions figées de deux
romans d’Orhan Kemal, traduits du turc en français, nous a
fourni un vaste domaine de recherche et de réflexion.
Pourtant il nous a fallu restreindre nos assertions, ainsi
que les exemples relevés dans les romans. Il nous semble
qu’une démonstration exhaustive exigerait un ouvrage
volumineux.
Une étude exhaustive ne se bornerait ni à
quelques énoncés exemplaires empruntés aux romans, ni à des
simples définitions des types des expressions figées. Car
chacun d’eux sont susceptibles d’être « déchiquetés »
minutieusement. Une telle opération donnerait la compétence
d’élaborer une grammaire comparée spéciale.
Entre le turc et le français, une large
comparaison en matière de la formation des segments et de
l’articulation des segments en locutions, servirait à faire
découvrir aussi bien les ressemblances que les dissemblances
linguistiques. A moins qu’on ne se contente pas de simples
schématisations, une découverte de la sorte ouvrirait de
nouveaux horizons dans ce champ inexploité.
Les limites de notre communication ne
nous ont donné que l’occasion de rappeler ce champ
disponible, et pour une simple initiation, de citer quelques
données à titre d’exemple. Soulignons que le champ est assez
vaste et plein de surprises évocatrices.
Lors de nos lectures comparées des romans
en turc et de leurs traductions en français, la surprise que
nous avons eue tenait à la perfection atteinte dans la
création des équivalences. Le turc et le français, malgré
leurs dissemblances, difficiles à surmonter, se sont mis en
accord dans l’expression naturelle, au niveau familier.
Les langues et les traducteurs :
Nous ne sommes pas de ceux qui
considèrent la traduction comme une problématique. Loin de
là, en tant qu’enseignant dans le département de traduction,
nous témoignons de près de la richesse culturelle que la
traduction apporte. La littérature, comme un des
constituants essentiels de la culture nationale se nourrit
des apports, offerts par les traductions de diverses
langues.
Mais avouons que la suprématie en
traduction est dans la possession des pays développés
anglophone et francophone. Autrement dit, les langues
d’arrivée sont en général l’anglais et le français. Quant à
l’espagnol, c’est avec un grand bonheur que nous observons
ces dernières années sa montée incessante. Les ouvrages des
écrivains hispaniques bénéficient pleinement à l’espagnol.
Mais quant aux d’autres langues, il est vrai que leurs
existences ne se font pas sentir suffisamment.
Le turc non plus n’est pas arrivé à
paraître parmi les langues que l’on traduit de façon
suffisante. Comme langue d’arrivée, le turc n’a jamais eu le
même privilège que des langues d’arrivée répandues, telles
que l’anglais, le français, l’espagnol. Pourtant le nombre
des usagers du turc n’est nullement médiocre. D’autre part,
la littérature turque évolue, les recherches concernant les
divers champs socioculturels et historiques, s’accroissent
sans cesse. Mais nous sommes toujours inaptes à les
transmettre au monde extérieur.
Heureusement, les vrais amis européens de
la Turquie ne manquent pas ! M. Jean-Louis Mattei est l’un
d’eux. Il n’est pas seulement le traducteur de deux romans
d’Orhan Kemal. Il a publié également des ouvrages turcs.
L’ayant fait, comme un multilingue, il avait puisé ses
arguments aux diverses sources… En outre, M. Mattei était
enseignant à l’Université Uludað. Nous y étions collègues.
Il vit actuellement à Ankara, il y poursuit ses travaux. Son
épouse turque, mon ancienne collègue, elle aussi, Mme Nurcan
Mattei, forte en turc et en français, est toujours pleine
d’enthousiasme en matière des rapports culturels entre les
pays. Leur fils, M. Timur Mattei est un jeune acteur
distingué dans le théâtre d’Etat à Ankara.
Il nous a semblé utile de présenter ainsi
le traducteur et sa famille. C’est pour mieux révéler sa
compétence intellectuelle et de carrière.
BIBLIOGRAPHIE
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Otyam, Fikret, Arkadaþým Orhan Kemal,
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